Avoir moins de pions que l’adversaire à l’issue de la partie, tel est l’objectif apparemment absurde du Reverse Reversi (aussi simplement appelé Reverse).
« Il suffit de jouer le plus mal possible en accaparant la frontière et en capturant un maximum de pions en début et milieu de partie » pourraient être tentés d’imaginer les habitués d’Othello qui découvrent son étrange variante. Cette analyse est aussi simpliste que fausse, tant la richesse stratégique de Reverse rejoint celle de l’Othello.
La jeunesse du reverse doit toutefois inciter à la modestie. C’est pourquoi nous nous contenterons de lever un coin du voile en comparant les approches stratégiques des deux jeux cousins, sans nous interdire d’en dégager des spécificités.
Mobilité et ouverture : de grandes similitudes avec Reversi
Avant même de parler de parité, de mobilité et de maximisation, il faut garder à l’esprit l’objectif général : posséder un minimum de pions à la fin de la partie. Tout pion définitif de l’adversaire va dans le bon sens. Il s’agit donc d’obliger celui-ci à en fabriquer un maximum, donc notamment, à prendre des coins. Il semble que la meilleure méthode consiste à restreindre les choix de son rival, donc à minimiser sa mobilité tout en maximisant la vôtre. Exactement comme à Othello ! La problématique des temps et de leurs gains est donc identique. Et les ouvertures sont souvent similaires. Des fantaisies semblent toutefois possibles (par exemple, l’ouverture X est plus abordable). A l’inverse, une stratégie de maximisation est vouée à l’échec. Il suffit de la tenter durant une ou deux parties pour se convaincre qu’elle n’est pas plus efficace qu’à Othello.
De la parité à l’anti-parité
Au niveau de la parité, la bonne stratégie est inverse de celle de l’Othello. On doit donc forcer l’adversaire à jouer le dernier coup de la partie ou à boucher chaque trou. Il s’agit donc d’abandonner la parité plutôt que de la conquérir. A Reverse, la parité naturelle revient à noir qui commence. Concernant la gestion des parités locales, il semble souvent utile de jouer les trous pairs.
Une approche différente des cases C et X
Puisque le but va être de donner des coins plutôt que d’en prendre, l’approche des cases C et X sera différente. Il va falloir obliger l’adversaire à jouer le coin. Pour y parvenir, il existe une situation idéale décrite dans la figure suivante et que nous désignerons sous l’expression de « coin idéal ». Elle consiste, en l’occurrence pour noir, à se priver l’accès au coin en prenant toutes les cases l’entourant, qui ne peuvent ainsi plus être retournées sans que blanc prenne le coin.
Noir joue et tue
Voici un exemple simple qui illustre à merveille à la fois la nécessité d’une bonne mobilité et l’intérêt du coin idéal :
La suite qui tue commence bien sûr par G1 A1 puis se poursuit par A3 A4 H2 H1 ou par H2 A3 H3 H1 … Blanc prend deux coins, une énorme influence au nord… et la victoire est presque assurée pour noir.
Bien entendu, votre adversaire tentera de vous empêcher de créer cette structure… Par conséquent, l’accès au coin sera souvent possible pour les deux joueurs (coin partagé) et le dénouement de la partie sera fonction de la mobilité et de la parité.
Coins, cases C et X : une hiérarchie chamboulée !
Il est utile d’avoir à l’esprit une évaluation de la valeur des cases, même si la stricte correspondance entre les cases C et X entre les deux jeux est discutable. Selon Rusty Horner, de la fédération américaine d’Othello , une position des cases C et X pourrait être la suivante (ce graphique permet de guider des choix stratégiques, il nous montre aussi l’importance des cases « coins » A2 et B1).
Notations standards pour une partie de Reverse Reversi, d’après Rusty Horner :
D – Don’t play here!!
C – Corner
c – c-square
x – x-square
Il y a donc deux coins dans chaque angle du jeu, trois cases C et deux cases X. Toujours selon Rusty, la prise de deux coins (A2 et B1) dans un angle du jeu assure le contrôle de cet angle (A1). Il est vrai qu’il est ensuite possible de « bétonner » tout autour de A1, pour obliger l’adversaire à retourner beaucoup de pions en y jouant (car A1 est devenu un « coin idéal »).
Vous apprécierez l’efficacité de cette évaluation des cases lors de vos parties. Seule la case B2, ancienne case X, semble plus délicate à gérer qu’une simple case C « classique », bien qu’il soit moins dangereux de la jouer qu’à Othello. Peut-être que sa situation particulière au Reverse nécessiterait une nouvelle appellation : case S, case E ou case V par exemple (case S pour « Super difficile à déterminer », case E pour « Elle me laisse perplexe » … ou V pour « Vraiment elle commence à me faire —biiip— cette —biiip— de case !!! »).
Exercice pratique
Nous présentons ici une première approche stratégique… mais au Reverse, comme à Othello, aucune règle ne fonctionne jamais parfaitement… C’est pourquoi nous vous proposons un petit solitaire, dans lequel blanc a un contrôle parfait sur A1 et A8, deux coins « idéals », mais où il a également sacrifié le coin H1 – sacrifice dont le but était un gain de temps.
Cette position est tirée d’une partie réelle, mais deux cases ont été modifiées pour donner une seule suite gagnante pour noir (plus précisément, deux suites semblables).
Noir joue et gagne
Eliminons d’abord les suites qui commencent par H8 ou A8, suicidaires car noir va jouer tous les coups. Ces deux suites sans interférence l’une par rapport à l’autre donnent 43-21.
Au Reverse Reversi, on joue très souvent les coins en dernier, et le coup intuitif serait de jouer en H5 ; l’idée est pour noir de combler le dernier trou qui ne soit pas un coin, puis de laisser jouer la parité dans les coins pour gagner. Malheureusement pour lui, blanc possède deux coins idéals en A1 et A8, et c’est noir qui va devoir jouer les deux derniers coups. La suite H5 H8 A1 A8 est perdante pour noir avec 33 pions.
Vous l’avez compris, noir doit sacrifier d’abord A1, puis laisser blanc jouer H8, et terminer les deux trous. La différence avec la suite intuitive se situe uniquement dans l’influence de la case E8 pour noir. Noir doit jouer H5 quand E8 est blanc, il évite de retourner deux pions supplémentaires et gagne donc la partie par 31-33 avec la suite A1 H8 H5 A8 (ou la même, A1 H8 A8 H5).
En guise de conclusion, nous vous invitons à jouer à ce jeu entre vous ou sur Internet (sur VOG, il existe une salle dédiée au Reverse Reversi). Il serait alors intéressant que vous nous soumettiez vos idées et arguments, afin de faire avancer la connaissance stratégique de ce jeu dont il reste tout à découvrir… (les plus curieux pourront par exemple retrouver des configurations assez proches du piège de Stoner … bonnes parties !).
Claude Quazzo, Thierry Lévy-Abégnoli